samedi 4 février 2017

Aquarium, s'évader?

Lorsque je prépare un atelier, je cherche une idée de départ, un fil conducteur. Cela peut partir de n'importe quoi, un élément de la séance précédente, une musique qui m'interpelle ce jour-là, quelque chose que j'entends à la radio, une chose sur laquelle mon regard tombe et qui fait lien, un élément qui m'interpelle en promenade (fleur, plante) pour lui-même, ce qu'il évoque, sa consistance, son toucher... Ce fil conducteur je ne vais pas toujours le suivre, parfois un élément apporté par une personne va faire bifurquer la séance. Tout ce qu'ils peuvent m'amener est susceptible d'être attrapé au vol et de la faire rebondir. Aujourd'hui, S. se met tout à coup à faire un rythme en tapant dans les mains, les autres suivent et nous voilà tous tapant ensemble le même rythme, unis par ce rythme, qui devient un lien entre nous.
Aujourd'hui donc, j'écoute des musiques diverses, cherchant une idée pour l'atelier à la résidence du Nil. J'écoute "aquarium" du carnaval des animaux de Saint Saens car je pense orienter la séance vers le thème de l'eau. La fois précédente nous avions fait vivre "à la claire fontaine", par le chant et  les instruments: en faisant couler de l'eau d'une coquille de noix de coco dans l'autre (écoute du son et expérimentation du geste) en écoutant le son d'un chacha péruvien délicatement tourné sur lui-même produisant un son pouvant faire penser à des petits cailloux dans un ruisseau. Après toutes ces expériences, les voix avaient gagné en présence, nous étions sensibles à la fontaine, son son,  notre voix, aux paroles chantées. C'est donc en pensant à cela que je m'apprêtais à me diriger vers le thème de l'eau. J'écoute donc "aquarium" mais étonnement la musique ne me produit pas un bon ressenti. Je ressens, je vois, le poisson tourner de manière un peu obsessionnelle dans l'aquarium. Je ressens la musique comme un peu obsédante, me donnant envie de m'évader. Sur le même disque, je vois un extrait de la "symphonie du nouveau monde" de Dvorak, le largo. J'écoute, la musique me touche et me donne l'impression d'aller vers la lumière, de m'échapper de l'aquarium. De plus le nouveau monde est symbole de découverte. J'oriente mon atelier vers la découverte d'un pays: l'Irlande, sa musique, et sa danse.
L'atelier commence, nous écoutons "aquarium" avec comme consigne d'imaginer le poisson qui vit dedans. L'écoute terminée, je demande aux participants si ils veulent donner leur ressenti. Trois personnes, souriantes, disent plus ou moins la même chose: "je me sentais bien, nageant dans l'aquarium". Je suis étonnée car je craignais un peu l'inconfort qu'ils auraient pu ressentir si comme moi, il leur fallait passer par cette impression de tourner en rond. Cette musique leur a plu, leur a donné une sensation de bien-être. Nous écoutons ensuite la symphonie du nouveau monde, je vois à leur visage qu'ils accrochent moins. Mon idée était de leur faire quitter leur aquarium pour s'évader vers un pays et y découvrir musique, joie, danse. Or ils se sentaient bien, et ne ressentaient pas ce besoin. Je vous relate cette expérience car cela nous rappelle que face à l'écoute d'une musique, notre ressenti est différent. On a tôt fait d'imaginer l'autre comme nous, suite à notre propre ressenti. Lors de toute séance, nous venons chacun avec notre histoire, notre vécu du jour, notre "iso" (identité sonore, concept de R. Benenzon) et ceux-ci se rencontrent. Il est donc impensable d'imaginer à l'avance comment chacun va réagir mais bien de tendre nos sens pour réceptionner tous les signes (expression de visage, sons, rythme, gestes, paroles), de les reconnaître et rebondir. Pour moi, aquarium était peut-être synonyme d'envie d'évasion mais pas forcément pour eux qui manifestement s'y sentaient bien, y nageaient comme des poissons...

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